UN JOUR CE SERA VIDE – Hugo Lindenberg
Une plage en Normandie. C’est l’été, deux garçons d’une dizaine d’années observent une méduse échouée sur la plage. L’un des deux demande à l’autre de la crever avec son bâton. L’enfant s’exécute espérant impressionner le garçon et s’en faire un ami.
Et c’est gagné! L’événement de la méduse marque le début de l’amitié entre les deux enfants. Baptiste devient le centre de la vie du jeune narrateur.
«Il faut maintenant compter avec Baptiste même quand il n’est pas là. Je ne peux plus rester immobile des heures entières sur le canapé du salon à respirer le moins d’oxygène possible, ni relire encore une fois ce vieux numéro de Picsou Magazine que j’ai usé jusqu’à l’écoeurement. Je ne suis plus sûr non plus d’aimer mon vieux t-shirt «Italian Boy» rapiécé sur demande expresse par ma grand-mère. A vrai dire, je ne suis plus sûr de rien. Je ne sais pour le moment que très peu de chose sur mes nouveaux goûts: je ne veux plus entendre parler de boissons gazeuses (Baptiste n’aime pas ce qui pique), et je rêve de voir le mont Fuji (son rêve à lui).»
Il faut dire que Baptiste vient d’une famille parfaite. Le genre de famille que le narrateur observe discrètement lors de ses après-midi passés sur la plage. Des parents aimants, de la vie, des rires. La famille qu’il rêve d’avoir. Celle qui nourrit son imagination.
«Pour le savoir, j’avais un truc infaillible. Si j’avais une pierre dans le ventre en les regardant, c’est que ça valait le coup. En général, une mère un peu potelée qui portait des bijoux me faisait une pierre dans le ventre, des enfants qui avaient l’air heureux et c’était le rocher.»
Lui, c’est avec sa grand-mère qu’il sort sur la plage. Une grosse dame qui tricote sur sa chaise pliable et qui ne se baigne jamais. Sa grand-mère, il l’adore mais il sent qu’elle devrait lui faire honte face à son nouvel ami Baptiste.
Chez sa grand-mère vit également sa tante atteinte dans sa santé mentale. Elle passe son temps enfermée dans sa chambre à fumer des cigarillos et à écouter de la musique de vedettes. Notre narrateur la trouve moche, sale. Il la déteste. Avec elle, il ne ressent aucun conflit de loyauté, il a honte tout court.
Le garçon est mal à l’aise dans son corps comme dans la vie. Personne ne lui a appris à nager ou à faire de la bicyclette. Il n’a aucun bagage.
Les non-dits habitent la maison de sa grand-mère. Par sa folie, la tante est peut-être la seule qui parle et traduit sa souffrance. Une atmosphère pesante. Alors, lorsque le garçon est parfois invité à manger chez son ami Baptiste, rien ne le rend plus heureux. Il découvre une vraie vie de famille où chacun a le droit de participer. Il a même pour mission de préparer la vinaigrette.
«On se raconte des histoires sans importance, on se tait, mais pas comme chez ma grand-mère où le silence est la somme de plusieurs silences qui n’ont rien à voir.»
Mais à cet âge, entre la fascination et la jalousie, il n’y a qu’un pas…
Hugo Lindenberg nous offre un premier roman éblouissant de douceur. Avec une justesse sans pareille, il réussit à rappeler au bon ou au mauvais souvenir du lecteur, les sentiments de l’enfance. L’ennui sans fin d’un après-midi d’été, l’importance que peut prendre un événement aussi insignifiant qu’une méduse échouée sur la plage, l’imagination débordante et sans limite, le regard porté sur les adultes, mais également la frontière si fragile entre l’amour et la cruauté.
Ce texte touchant au ton aussi mélancolique que lumineux est une merveille. C’est avec regret et la tête pleine de questions que l’on tourne la dernière page.
Un auteur que je continuerai de suivre sans hésitation!
«Alors qu’elle écosse en silence j’imagine sous la blouse les seins exsangues aperçus dans le miroir, les seins séchés, aspirés du dedans pas la gloutonnerie braillarde des enfants de la guerre, les seins vidés par la fatigue. Est-ce que ses fesses aussi sont vides? Est-ce que moi aussi, un jour, je serai vide?»
Christian Bourgois éditeur, août 2020, 176 pages