ÉVASION – Benjamin Whitmer
Passé un certain temps dans cette ambiance confinée, j’avais besoin de sortir un peu de mes habitudes livresques avec une lecture qui me fasse « sursauter ». Un p’tit coup de fouet pour me réveiller, tel un café bien serré! Réputé « bien noir », ce livre était le candidat idéal…
Nous sommes le soir du réveillon en 1968 à Old Lonesome, petite ville du Colorado au pied des Rocheuses. Imaginez un coin paumé avec pour seul « centre d’intérêt », une prison. Soit les habitants d’Old Lonesome travaillent à la prison, soit un membre de leur famille ou l’une de leurs connaissances y sont enfermés. En pleine nuit, alors qu’une tempête se lève, douze détenus s’évadent dans la nature…
Deux journalistes de Denver sont dépêchés sur place afin de couvrir l’événement et accompagner les gardiens de prison dans leurs recherches. Mais d’autres personnages dont les intérêts diffèrent, se lancent également sur les traces des détenus.
«-La traque, c’est pas suivre des traces, dit-il. C’est deviner ce que sera le prochain mouvement de la chose que tu traques. Tu interprètes des signes, mais au fond il s’agit juste d’avoir un coup d’avance.»
De la visite d’une habitation à l’autre, les évadés se dispersent et soufflent sur leur passage un vent de violence que la pire des tempêtes ne pourrait égaler. Benjamin Whitmer n’a pas son pareil pour faire ressentir à son lecteur l’atmosphère étouffante et tendue qui règne en permanence.
Oui, c’est violent, très violent même, mais que cela ne vous arrête pas, derrière chaque personnage se cache une histoire de vie, un parcours. L’écrivain nous raconte des existences sans avenir de l’Amérique en marge, ce qui rend ce texte bourré d’humanité malgré la violence crue et la noirceur qui habitent chaque scène.
L’écriture très réaliste et spontanée de l’auteur, les dialogues vifs entre les personnages ont réussi à m’emballer.
«C’est un joli bout de terrain, mais ni l’un ni l’autre n’a reçu l’intelligence que Dieu confia aux poteaux de clôture.»
Dans ce roman choral, chapitre après chapitre, le lecteur passe du détenu au traqueur, des journalistes à la hors-la-loi, mais une multitude d’autres personnes gravitent autour de ces protagonistes. C’est peut-être le seul bémol que je pourrais relever, un peu trop de personnages et une difficulté de ma part à retenir les interactions entre chacun d’eux.
« Évasion » est un texte très sombre sans aucune lueur d’espoir. Piégés dans une Nature impitoyable qui tient un rôle à part entière, ces hommes souhaitent échapper à l’univers carcéral, mais ils vont rapidement se mettre à tourner en rond dans le blizzard. Malheureusement, il n’y a pas que les évadés qui recherchent désespérément la liberté, tous les personnages du roman sont enfermés dans une vie sans issue.
«Le soleil s’est couché et il ne reste plus rien à voir du crépuscule. Ce qui qui ne signifie pas que ce que ce soit déjà tout à fait la nuit noire. C’est un truc que Stanley a l’âge d’avoir appris. Les choses deviennent toujours plus noires. Quiconque n’a pas compris ça vit dans un autre monde.»
Ce huis clos à ciel ouvert m’a fait passer un excellent moment de lecture. Un texte bien plus profond qu’il n’y paraît et qui pourrait faire, je trouve, un excellent film.
Il s’agit du troisième roman de Whitmer. Je me réjouis de poursuivre ma découverte de cet auteur avec ses deux titres précédents « Cry father » et « Pike ».
Editions Gallmeister, 2018, titre original « Old Lonesome », traduit de l’américain par Jacques Mailhos, 416 pages. Disponible en poche dans la collection Totem.