KUKUM – Michel Jean
Décidément, la littérature québécoise me fait de l’oeil cette année… Je suis gâtée, encore une magnifique découverte!
«Kukum», grand-mère en langue innue. L’auteur Michel Jean est issu de la communauté innue de Mashteuiatsh. C’est à son arrière grand-mère qu’il laisse la parole dans ce livre passionnant.
Almanda se raconte à la première personne. Blanche, orpheline, elle quitte son oncle et sa tante, fermiers, à l’âge de 15 ans pour suivre Thomas, un indien Innu âgé de dix-huit ans.
Par amour, elle part vivre avec lui et sa famille. Les Innus mènent une vie rude, rythmée par les saisons et la chasse. Une recherche constante d’harmonie avec la nature afin de survivre.
Almanda doit s’adapter à leur existence nomade. En été, ils vivent au bord de Pekuakami, appelé aujourd’hui Lac Saint-Jean au Québec. A l’approche de l’hiver, les Innus remontent la rivière et après des semaines d’un voyage très pénible, chargés de matériel et de vivres, ils installent leur campement au coeur du bois.
Toute la famille de Thomas accueille Almanda avec beaucoup de bienveillance. Alors qu’elle ne comprend pas la langue innue, elle doit tout apprendre : tanner les peaux, chasser, les rituels du peuple et de la famille.
«Avec le temps, j’ai compris que, pour apprendre, il fallait regarder et écouter. Rien ne servait de demander.»
Thomas va lui enseigner la chasse et le sens de la relation que son peuple entretient avec le monde animal.
«Il n’y a pas de chance, Manda. L’animal fait le sacrifice de sa vie. C’est lui qui décide. Pas toi. Il faut lui être reconnaissant. C’est tout.»
Le couple s’aime d’un bel amour réciproque et fonde une grande famille. Almanda partage ses souvenirs touchants de maternité, sa découverte du poids de la responsabilité qui lui a été confiée.
«On n’apprend pas à devenir mère. On se débrouille.»
Puis arrive le progrès… Les bûcherons, la construction de voies ferrées pour le passage du train, le programme d’éducation des enfants. Certains chapitres sont bouleversants. Après avoir partagé un bout de chemin avec la famille d’Almanda, la violence du changement de vie qui leur est imposé saute à la gorge du lecteur.
«-Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent l’esprit même de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer si cruels?
Thomas avait raison. Mais son raisonnement était celui d’un Innu qui sait qu’il reviendra toujours sur ses pas. Le bûcheron, lui, marche droit devant, sans regarder derrière. Il suit le progrès.»
Si les origines demeurent, de leur territoire ne reste que le grandiose Lac Saint-Jean.
Je comprends que Michel Jean ait profité de ce récit pour rendre hommage à son arrière-grand-mère. Eprise de liberté, toujours digne, douée d’une confiance exceptionnelle, sa kukum ne craignait rien ni personne. Elle ira même trouver un ministre pour défendre sa communauté. Un nouveau portrait de femme inspirante a rejoint la galerie qui habite mon coeur.
Les lignes sublimes et émouvantes de Michel Jean m’ont tout simplement transportée.
Editions Dépaysage, 2019, 296 pages