SUR LES OSSEMENTS DES MORTS – Olga Tokarczuk

Au milieu d’une nuit d’hiver, Janina Doucheyko est réveillée par des tambourinements à sa porte. Son voisin est persuadé qu’il est arrivé quelque chose à un autre de leurs voisins, et demande à Janina de l’accompagner jusque chez lui à travers l’obscurité glaciale. «Grand Pied», comme le surnomme Janina, est retrouvé mort dans sa cuisine, étouffé par un petit os. Une tête de biche fraîchement tuée trône sur le rebord de sa fenêtre, l’air d’observer la scène du crime.

Des morts mystérieuses vont alors s’enchaîner. Et à chaque  fois, des traces d’animaux seront observées autour des victimes qui pratiquent toutes la chasse.

Nous sommes dans un petit hameau de la région austère et montagneuse des Sudètes en Pologne, près de la frontière tchèque. Janina, ingénieur retraitée, recyclée en professeur d’anglais, est passionnée de nature et défend la cause animale. Fanatique d’astrologie, elle passe son temps à analyser chaque événement ou personnalité en fonction de la position des astres, jusqu’à examiner le lien entre les films programmés à la télévision et la constellation des planètes! Excentrique, complètement folle dirons certains, Janina n’en est pas moins très attachante. Cette narratrice authentique occupe ses journées à réfléchir à une multitude de sujets et c’est un bonheur que de partager ses pensées. Malgré le sérieux de ses propos, l’humour n’est jamais très loin. Il devient même délicieux lorsqu’il s’agit d’autisme testostéronien.

Féministe aguerrie, elle est également amoureuse de l’oeuvre de William Blake qu’elle tente de traduire avec son ancien élève Dizio, transformant dans la chambre noire de son cerveau les négatifs des mots anglais en phrases polonaises. 

Des réflexions très pertinentes s’offrent au lecteur tout au long du roman. 

«Après tout, pourquoi devrions-nous être utiles? Et en vertu de quoi? Qui a divisé le monde entre l’utile et l’inutile, et de quel droit? Un chardon n’a-t-il pas le droit de vivre, ou bien une souris qui mange du grain dans un grenier? Et les abeilles, les bourdons, les mauvaises herbes et les roses? Quel est l’esprit qui a eu le culot de décider qui est meilleur et qui est moins bien? (…) Tout le monde connaît les bénéfices de l’utile, mais peu sont au courant du profit que l’on peut tirer de l’inutile.»

Janina vit seule, mais une galerie de personnages marginaux font partie de sa vie. Des personnalités rudes ou sensibles finement décrites.

 

Mais le thème omniprésent du roman reste sans aucun doute le règne animal et plus particulièrement le rapport que l’être humain entretient avec celui-ci. Des descriptions fascinantes du comportement d’oiseaux ou d’insectes marquent certains passages instructifs. Janina ne fait aucune différence entre l’Homme et l’animal. 

«J’aimerais beaucoup savoir comment cet animal voit le monde, j’aimerais survoler le plateau ne serait-ce qu’une seule fois, changée en chauve-souris. Comment sommes-nous perçus à travers ses sens à elle? Comme des ombres? Comme des faisceaux de pulsions, des sources de bruits?»

Inutile de préciser qu’elle passe pour une vieille hystérique lorsqu’elle avance que les animaux sont les auteurs de ces crimes à titre de vengeance envers la cruauté des chasseurs. Qui pourrait bien cautionner une telle théorie? L’enquête policière se chargera de révéler la vérité.

D’un style très accessible, ce roman déconcerte par la facilité avec laquelle Olga Tokarczuk passe d’un registre à l’autre. La richesse des sujets abordés, ainsi qu’une atmosphère mystérieuse et un brin envoûtante en font un texte exceptionnel.

«Qui doute d’après ce qu’il voit
Quoi qu’on fasse, jamais ne croira.
Soleil et Lune, s’ils doutaient,
Immédiatement s’éteindraient.»

Olga Tokarczuk, auteure polonaise née 1962, a obtenu de prestigieux prix littéraires, dont le Prix Nobel de littérature qui lui a été décerné en 2019.

Éditions Libretto, 2014, titre original «Prowadź  swój pług przez kości umarłych» traduit du polonais par Margot Carlier, 288 pages. Première publication pour la traduction française aux Éditions Noir sur Blanc en 2012.

4 Comments

  • katell

    Bon je crois qu’on a les mêmes goûts 😉 adoré aussi ce livre! et très surprise du style très accessible ! Ce personnage féminin est tellement original.

    • meellaa

      Et quel humour, ce roman m’a bien fait rire par moment. Comme tu dis ce personnage…quel oiseau 😅❤️

    • meellaa

      Ah oui, sans hésitation! D’ailleurs dans un tout autre registre, si Winter t’a fait rire, celui-ci aussi!

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