LA GRANDE PEUR DANS LA MONTAGNE – Charles Ferdinand Ramuz

Sans oser l’espérer, il est des écrivains dont les mots nous éblouissent à chaque fois. Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne en 1878, rare auteur suisse à être édité dans la collection La Pléiade, immense poète dont chaque Suisse connaît le visage sans même le savoir pour autant qu’il possède un billet de deux-cents francs, et pourtant… 

Qui a déjà goûté à la saveur de ses textes? Qui sait seulement que par un assemblage de mots pauvres, il a fabriqué des phrases aussi explicites que poétiques? Qui aurait cru que l’usage du «on» à tout va pourrait devenir une prouesse de style? 

En tout cas,
à moi, jamais personne ne m’a raconté la montagne de si belle façon. 

«et, portant ses regards autour de lui, Joseph continuait de se faire mal aux yeux à des pierres, à toujours des pierres, à rien que des pierres; et à toujours personne, et à cette absence de tout mouvement et de tout bruit.»

«(…) quand tout à coup ce qu’il y a de l’autre côté de la chaîne vous saute contre, et une moitié de monde pas connue est connue, venant à vous d’une seule fois. Là sont rangées devant vous à nouveau des milliers de tours, de dents et d’aiguilles, et, à cause de l’éloignement, il semble qu’on soit au-dessus d’elles, bien qu’elles soient blanches, toutes blanches et, quand le soleil vient les frapper, dorées ou roses;»

Grand ambassadeur de la langue romande, c’est-à-dire du français parlé en Suisse, Ramuz impressionne par son écriture audacieuse. Une expression orale mise en avant, sublimée par une plume qui lui est propre et reconnaissable entre mille.

Expérience faite autour de moi, l’essayer c’est l’adopter! Qu’attendez-vous?

L’être humain face aux forces de la Nature. Petit village paysan, l’herbe de pâture se fait rare. L’assemblée communale clivée entre jeunes et vieux, décide d’envoyer quelques bêtes et hommes à l’alpage, malgré les mauvaises expériences du passé.

«Le beau temps allait là-haut, sans s’occuper de vous, avec son horlogerie; et des hommes sont dessous, mais est-ce qu’ils sont seulement vus? est-ce qu’ils comptent seulement?»

À peine arrivés, les volontaires font face à des phénomènes inexpliqués. Les anciens avaient-ils raison? La peur s’installe. La montagne dérangée par leur présence, cherche-t-elle à les chasser? Gagnés par le mal, isolés par les hommes du village qui craignent une contagion, perdus, à demi fous, les visiteurs de l’alpage sont conduits à mener le village à la tragédie.

«et est-ce à présent qu’on rêve et avant on ne rêvait pas, ou le contraire? comme il cherche à se dire encore, se cramponnant toujours au roc qui a été amené en arrière, de sorte qu’un instant la vue sur le glacier lui fut retirée, mais le mouvement inverse la lui ramenait déjà.
Peut-être qu’on rêvait avant et on rêve encore à présent.»

Il n’est pas d’ennui possible à la lecture de ce texte publié en 1926 aux Éditions Grasset, mais un grand besoin de reprendre son souffle. 

Éditions Nevicata, 2009, 240 pages, édition limitée illustrée d’aquarelles de Samivel

4 Comments

  • Marie-Claude

    Ton sublime billet est très très tentateur. Je connais Ramuz de nom et c’est tout. Son style me semble unique et extrêmement «morderne». Moi qui ne suis pas adepte de la poésie des mots, préférant les images créés avec des mots simples, je ne suis pas insensible aux mots de Ramuz. Je vais investiguer plus avant. Merci pour l’éclairage.

    • meellaa

      Si mon billet réussit à te tenter, c’est merveilleux.

      L’oeuvre de Ramuz gagne à être connue, je ne m’explique pas pourquoi il est si peu lu de nos jours. Son registre est vaste, riche, varié. Ses histoires sont souvent sombres et finissent rarement bien, mais Ramuz a le chic pour surprendre le lecteur emporté par le récit avec des phrases incroyablement lumineuses. En quelques mots, il te décrit le passage d’un nuage devant la lune ou le son d’un ruisseau avec une telle justesse. De la poésie, mais bien à lui.

      Dans ce roman, il y a une scène où il décrit une personne qui en découvre une autre morte. J’ai rarement lu sur deux petites pages seulement une description d’émotions si juste et si bouleversante. Unique vraiment.

      Par lequel commencer? Chacun de ses romans est si différent. Celui-ci ne peut que plaire à tout le monde il me semble. Mais La Vie de Samuel Belet, quelle beauté! Et Aline, une histoire terrible (mon préféré). Derborence? Ah oui. Et La beauté sur la terre, sublime.

      J’ai la bonne intuition que cet auteur te plairait. Mais il paraît que ses ouvrages sont parfois difficiles à trouver. Que ça ne te freine pas si tu souhaites le découvrir, je peux toujours te les envoyer avec plaisir d’ailleurs!

    • Marie-Claude

      C’est terrible! Me voilà mal pris! Je compte le découvrir, mais je me demande par lequel. Aline, je pense. Le fait qu’il soit ton préféré me sert de guide!
      Par ailleurs, tu sais quel roman que j’ai reçu aujourd’hui? Maurice à la poule. À cause de qui?!

    • meellaa

      Mais non?! Tu l’avais commandé 🙂 Curieuse d’avoir ton ressenti sur ce livre que j’avais tant aimé! Je te dirais que c’est réciproque, à chaque parution d’un de tes articles, ma commande grossie!!

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