SUGAR RUN – Mesha Maren

Juillet 2007, Jodi McCarty trente-cinq ans sort de prison. Condamnée à perpétuité, elle vient d’obtenir sa liberté conditionnelle. Un ticket de bus accompagné d’une injonction à se présenter devant le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation et la voilà en route pour rentrer chez elle. 

Un terrain perdu en Virginie-Occidentale l’attend. C’est là-bas dans les Appalaches que sa grand-mère Effie l’a élevée. Mais avant, elle doit faire un crochet par le Sud. En prison, elle s’est promis de retrouver Ricky, frère de son ex-petite amie Paula, afin de l’emmener avec elle. Comme les jeunes filles l’avaient prévu à l’époque. Avant le drame. 

Paula est morte dix-huit ans plus tôt, lorsque Jodi a été arrêtée. Mais les détails et les circonstances du décès ne sont dévoilés que progressivement au fil du récit. 

En route, Jodi fait la connaissance de Miranda et s’éprend de cette mère de trois enfants, dont le couple bat de l’aile.

« Malgré le volume de la musique, un silence planait dans la pièce. Quelque chose était en train de se passer ici, pensa Jodi, quelque chose qui rendait liquide tout espace tangible, un ennui rageur capable d’arrêter  le temps qui n’existait que dans des lieux si isolés que même le sexe cessait d’avoir un sens. Quelque chose ayant à voir avec la distance les séparant du centre des choses. Tout ce qui avait jamais compté était arrivé ailleurs. Il y avait ce dicton sur le battement d’ailes d’un papillon, mais dans les endroits comme celui-ci, le temps et la distance étouffaient tout. »

Après avoir retrouvé et récupéré Ricky, Jodi, Miranda et ses trois enfants rejoignent le terrain hérité et s’installent dans une cabane en pleine campagne. 

Malheureusement, rien ne se passe comme prévu. Jodi devra encore se battre afin de réaliser son rêve.

Elle désire profondément prendre un nouveau départ et se conduire de façon honnête, mais sommes-nous vraiment capables de nous libérer d’un passé qui nous colle à la peau ? Réussissons-nous à changer alors que tout le monde se charge de nous condamner ?

« Jodi comprit qu’elle avait posé l’ancien patron sur sa nouvelle vie, comme les délicates silhouettes en papier de soie qu’utilisait Effie pour découper ses robes. Jodi avait déplié le patron avec soin et tenté de les faire tous entrer dedans, étouffant la moindre chance qu’ils auraient pu avoir. Elle se revit sur le parking à Jaxton, quand les montagnes de la Géorgie se dressaient devant elle, que ses options s’étiraient dans chaque direction tels les rayons d’une roue, pourtant ce n’étaient que maintenant, dans ce silence étrange et vide, qu’elle prenait conscience de la possibilité d’autres possibilités et de l’immensité de l’univers. »

Les chapitres alternent entre présent et passé. Le présent, c’est l’envie de reprendre la vie là où elle en était restée et de mener à bien ses projets. Le passé, c’est la vie houleuse, passionnée et criminelle de Paula et Jodi dix-huit ans plus tôt. Et au fil du récit, les deux époques tendent inévitablement vers le drame.

En pleine Amérique rurale, sur fond de pauvreté, trafic de drogue, addiction et violence, Mesha Maren aborde également la difficulté d’assumer son homosexualité dans cette région du pays profondément croyante. 

Et puis bien sûr, il y a cette merveilleuse Nature présente tout au long du roman. Elle aura droit également à son lot de malheurs.

Vouloir et pourtant échouer. Aspirer au bonheur et ne pas le trouver. Finalement, il suffit toujours d’un rien pour que tout bascule.

« -Suffit d’une bonne main, déclare Paula entre deux gorgées de bières. Une seule nuit avec un run de rêve, et t’es accro. »

Magnifique premier roman.

Gallmeister, 2020, traduit de l’anglais par Juliane Nivelt, 378 pages

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