LA MAISON – Emma Becker

Emma Becker, française de trente ans, vit à Berlin. Durant deux ans, elle travaille de manière volontaire dans une maison close. Pour écrire un livre sur le sujet, mais également parce qu’elle désire exercer cette activité.

L’auteure à la personnalité et au discours surprenants a réussi à susciter ma curiosité. Comment une jeune femme intelligente peut avoir envie d’entreprendre une démarche aussi scandaleuse ?

« Je veux en parler parce qu’elles existent; (…) Il n’y a aucune noblesse là-dedans, mais il s’y trouve des vérités poignantes comme on n’en trouve nulle part ailleurs, des témoignages de bonheur et des promesses de félicité – et il faut bien que quelqu’un en parle. »

Emma Becker partage durant deux ans le quotidien de ces femmes. Elles sont amantes, épouses, mères de famille. Elles exercent dans un pays où la prostitution est légale. Située à Berlin, La Maison est un bordel réglementé, contrôlé. Les prostituées déclarent leur activité, paient des impôts, etc. 

L’auteure effectue une comparaison avec un pays comme la France où l’exercice de la prostitution est illégal.

« Je revoyais la Maison et ce mot agrafé au panneau de liège, à côté de la salle de bains, là où les nouvelles filles ne manqueraient pas de le lire : « Chères dames, vous êtes libres de choisir votre tenue, tant qu’elle ne dévoile pas trop de vos charmes. Choisissez ce qui vous va le mieux; vous pouvez vous présenter en hauts talons, en ballerines ou en sandales, ou bien pieds nus, comme un petit elfe. » Sic! Un petit elfe !
Je parle d’un monde où les putes pouvaient choisir d’être des princesses, des elfes, des fées, des sirènes, des petites filles, des femmes fatales. Je parle d’une maison qui prenait les dimensions d’un palais, les douceurs d’un havre.
Maintenant le reste du monde, pour les filles, c’est un abattoir. »

Ce livre n’est pas une apologie de la prostitution. Il s’agit plutôt d’un hommage aux femmes qui travaillent dans La Maison.

« On n’écrit pas assez de livres sur le soin que les gens prennent de leurs semblables. »

Outre les explications sur le fonctionnement pratique du bordel et des séances avec les clients, Emma Becker nous parle avant tout des êtres humains qui se cachent derrière ces femmes. Elle les écoute. Ont-elles encore des rêves ? Comment gèrent-elles leur vie de couple ? Leur vie tout court ?

Mais il est aussi question des hommes qui fréquentent les maisons closes. Qui sont-ils ? Hormis le sexe, que viennent-ils chercher auprès des ces femmes ? Du réconfort, des conseils, de l’écoute ? Très souvent touchants, parfois ridicules, quelques fois violents. De passage ou habitués.

La démarche de l’auteure me choque et je n’y adhère pas. Mais à mon sens, là n’est pas le propos. Emma Becker est écrivain douée de style et nous livre ici un texte d’une grande justesse.  Avec beaucoup de pudeur, elle nous parle d’une réalité et nous fait réfléchir à bien plus qu’à la prostitution. Tous les éléments sont réunis pour en faire une lecture nécessaire.

«  Dans cette carapace vide que sont les putes, ces quelques carrés de peau loués à merci, auxquels on ne demande pas d’avoir un sens, il y a une vérité hurlant plus fort que chez n’importe quelle femme qu’on achète pas. Il y a une vérité dans la pute, dans sa fonction, dans cette tentative vaine de transformer un être humain en commodité, qui contient les paramètres les plus essentiels de cette humanité.
Et que Calaferte me pardonne de l’avoir si mal compris en le lisant à quinze ans; ce n’est ni un caprice ni une fantaisie d’écrire sur les putes, c’est une nécessité. C’est le début de tout. Il faudrait écrire sur les putes avant que de pouvoir parler des femmes, ou d’amour, de vie ou de survie. »

Flammarion, 2019, 371 pages

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