LE DISCOURS – Fabrice Caro

Vous arrive-t-il de rire à la lecture d’un livre? J’entends par là, s’esclaffer, se marrer de manière spontanée… Si parfois je souris, rire en lisant reste rare. 

Et bien, non seulement Fabrice Caro est parvenu il y a quelques années à me faire bien rigoler à la lecture de sa bande dessinée déjantée «Zaï Zaï Zaï Zaï», mais il a brillamment réussit à me dérider une nouvelle fois avec son roman «Le discours».

Cet auteur à l’esprit caustique, est capable de mettre en lumière les situations les plus banales de la vie quotidienne, sans manquer de nous rappeler nos propres travers avec une justesse incroyable.

«Tu as l’air fatigué Adrien, tu es sûr que tu dors assez? Ma mère me trouve toujours fatigué, toujours amaigri, toujours pâle.»

Lors d’un dîner chez ses parents, Adrien, la quarantaine, anti-héros par excellence, est sollicité par son beau-frère pour prononcer le discours lors de son prochain mariage avec sa soeur. Adrien n’est pas du tout emballé par cette proposition qu’il échoue à refuser malgré toutes ses tentatives.

«On n’attend pas de moi que je m’acquitte d’une simple formalité, un acte anodin qui s’insérerait mollement entre le trou normand et la découpe de la pièce montée dans une succession éprouvée de minuscules rituels, non, je suis le garant officiel du plus beau cadeau de la soirée, le clou du spectacle, l’apothéose.»

Il faut dire qu’Adrien se trouve en pleine « pause » amoureuse imposée par Sonia, et qu’il vient de lui envoyer un sms auquel, après à peine quelques minutes, elle n’a pas toujours pas répondu. 

«Sept milliards de névrosés, de toqués, d’inadaptés, essayant de vivre ensemble, se faisant croire que c’est possible, qu’ils sont des êtres sociaux, qu’on ne tue pas pour un grincement de fourchette dans l’assiette, qu’on ne quitte pas son amoureux parce qu’il fait du bruit en buvant son café. Un jour tu te réveilles, Sonia, et tu ne supportes plus ça, le bruit que fait l’autre en buvant son café, tu ne supportes plus son éternel t-shirt, toujours le même, celui qui t’émouvait tant, le matin tu ouvres la fenêtre de la chambre parce que l’odeur de l’autre t’indispose, tu dis J’ouvre il fait un peu chaud, alors qu’on est en novembre et qu’il fait moins trois dehors, un jour un message de ton amie Laure à propos d’une vidéo de chat qui rate un canapé t’intéresse plus que l’homme que tu as en face de toi.»

Derrière le ton humoristique et léger de ce roman se cache une fine analyse des relations familiales, plus particulièrement de celle parent-enfant à l’âge adulte.

«Pour ma mère, le monde se divise en trois catégories: ceux qui ont un cancer, ceux qui font construire et ceux qui n’ont pas d’actualité particulière. Entre ces deux stades, la construction et le cancer, pas grand—chose, une espèce de flottement, une parenthèse, un grand vide existentiel.»

Entre l’apéritif et le dessert, Fabrice Caro nous fait partager le monologue intérieur d’Adrien, tantôt angoissé par le discours pour lequel il imagine tous les scénarios possibles et imaginables, tantôt par son portable qui reste désespérément muet.

«Ce discours va être une catastrophe dont on parlera encore dans vingt ans, trente ans, il va traverser les générations il deviendra une légende urbaine que les grands-parents raconteront le soir pour faire gentiment peur à leurs petits-enfants. Et là les enfants, devinez ce qu’Adrien raconta comme anecdote… – Papi j’ai peur… On aura jamais vu dans l’histoire mondiale des discours de mariage un discours aussi peu inspiré, et chaque touche d’humour sera suivie d’un long silence embarrassé, et l’assemblée glissera progressivement d’un brouhaha joyeux à une gêne palpable, et l’énergie festive que Sophie et Ludo avaient mis des heures à faire monter à grand renfort d’apéritifs, de surprises, de musique légère et de calculs chirurgicaux de plans de table (Mais enfin Ludo, tu ne peux pas mettre Tata Lucette à côté d’Henri, ça n’est pas possible. -Tu as raison ma chérie, je ne pas ce qui m’a pris de proposer ça, je suis un peu surmené en ce moment, excuse-moi, je t’aime. -Moi aussi je t’aime mon amour), tout ça, tous ces efforts seront réduits à néant en moins de trois phrases.»

«Femme Actuelle. Je l’ouvre machinalement à la page des horoscopes. Amour: une étoile. Une étoile sur combien? Je parcours rapidement les autres signes pour connaître la base du barème. Trois étoiles. Et je n’en ai qu’une. Un comportement vous déçoit et quand le Lion se sent trahi, il tourne les talons… après avoir pris le temps d’exprimer son mécontentement. À bon entendeur! Hein? Pardon? Comment ça? Qui a écrit ça? Un certain Marc Angel. (…)
Et évidemment je ne peux m’empêcher de lire son horoscope. Trois étoiles à Amour. Elle a trois étoiles à Amour. Je n’en reviens pas. Beaucoup d’amis et de gens bienveillants autour de vous. Célibataire, l’un d’eux a toutes les chances de vous taper dans l’oeil. En couple, c’est la fête à la maison. Véridique, là, sous mes yeux, Marc Angel a osé écrire ça, noir sur blanc, dans le n°1738 de Femme Actuelle. Il ne se contente pas de me jeter une étoile comme un os dans l’écuelle d’un chien, il en attribue trois à Sonia.»

Si ce n’est pour découvrir LE discours dévoilé dans les dernières pages du roman, lisez ce livre pour le premier chapitre au sujet d’un objet aussi insignifiant qu’un porte-serviettes au mur de la cuisine… Jouissif!

Editions Gallimard, Collection Sygne, 2018, 208 pages
Paru également en version poche chez Folio

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