DES GENS COMME EUX – Samira Sedira
Comment un homme bien sous tous rapports est-il amené à massacrer ses voisins et leurs trois enfants à coups de batte?
Constant Guillot, son épouse Anna et leurs deux enfants vivent à Carmac, petit village paisible où tout le monde se connait. Mais lorsque Sylvia et Bakary Langlois font construire un luxueux chalet en face de la maison des Guillot pour s’y installer, rien n’est plus pareil.
Une relation amicale proche se noue entre les deux couples.
«Il y a des musiques qui nous emportent sans qu’on sache par où elles nous attrapent. Dancing Queen était de celles-là. C’était la première fois qu’on dansait ensemble, tous les six, sur cette chanson, mais ce qu’elle éveillait en chacun de nous nous cueillait avec la même fulgurance qu’une photo de jeunesse. Elle symbolisait ce que nous avions perdu, et cette nostalgie que nous partagions nous rappelait que nous avions traversé le monde au même moment. Traverser le monde au même moment, c’est pas rien quand on y pense. Dans un élan de communion, et sans nous lâcher du regard, on s’est mis à danser sans retenue. A chaque fois qu’on hurlait le refrain, c’était en réalité notre amour et notre désir désespéré d’éternité qu’on gueulait. Nous n’avions jamais été aussi proches qu’en cet instant, et si Dancing Queen avait pu résonner jusqu’à la fin des jours et nous préserver de la dureté des événements, jamais nous n’aurions eu à en souffrir.»
Bakary est gai, ouvert, souriant. Il ne se gêne pas d’étaler et de partager sa richesse et son bonheur. Et sa couleur de peau est noire. Il ne remarque pas qu’il suscite l’envie auprès de Constant qui n’est rien de tout ça.
«Le président ne s’est pas démonté, il a poursuivi, Vous avez certainement fantasmé sur la vie merveilleuse que vous auriez pu avoir, n’est-ce pas ? La réussite de monsieur Langlois vous blessait-elle? Selon les experts, vous avez envié la vie de monsieur Bakary Langlois à en crever, à en oublier ce que vous possédiez déjà.»
Le texte oscille entre le procès pendant lequel Constant raconte à l’avocat général le meurtre sordide qu’il a commis et le récit d’Anna, l’épouse de Constant, qui est la narratrice. Cette construction renforce le rythme de l’histoire et la rend passionnante.
«Devenir aussi désirable que monsieur Langlois. C’est ce à quoi Constant Guillot aspirait de toutes ses forces. Mais quand l’objet de sa convoitise s’est étendu à « l’espace immatériel », à savoir l’amour infaillible du couple Langlois, la chaleur du foyer, la joie de vivre des enfants, etc., et qu’il a pris conscience qu’il ne serait jamais à la hauteur d’une telle réussite, il n’y a eu d’autre issue que d’utiliser la violence. Il est allé jusqu’à rendre monsieur Bakary Langlois responsable de ses échecs.»
Sans aucune digression, Samira Sedira décortique le mécanisme terrible qui va conduire un homme à commettre l’irréparable. Elle réussit à nous faire ressentir de l’empathie tant pour un couple que pour l’autre. Le malaise s’installe petit à petit, alors que la jalousie monte en puissance. Et en plus, Bakary est noir.
Anna qui connaît si bien son époux et qui ne voit pourtant rien venir… peut-être qu’une parole de sa part aurait pu empêcher le drame de se produire, mais encore fallait-il qu’elle sache de quoi Constant était capable.
«Je crois que nous avons tous, sans exception, sous-estimé la réalité de l’homme que nous connaissions depuis longtemps. Ton passage à l’acte a agi comme un révélateur. Il est effrayant de penser que je n’ai rien vu venir, moi qui, jour après jour, ai vécu à tes côtés. Pourtant, il ne m’est jamais arrivé d’avoir peur en ta présence. Jamais. Ni pour moi ni pour nos filles. Ce qui est arrivé est tout simplement incompréhensible.»
Ce roman, inspiré d’un fait divers, pourrait parfaitement être adapté au grand écran.
Lu d’une traite, « des gens comme eux » est une pure réussite!
Editions du Rouergue, 2020, 144 pages