WINTER – Ali Smith

Dans le second roman de son quartet saisonnier, Ali Smith nous emmène cette fois-ci dans les Cornwall. Sophia, la soixantaine, attend son fils Arthur dit « Art » pour passer les fêtes de Noël. S’il me fallait décrire Sophia, je lui prêterais plutôt des adjectifs péjoratifs, tels que bourgeoise, méfiante, protectionniste et antipathique. Pourtant, son personnage est rendu attachant, car les pensées de cette femme sont très nostalgiques, et elles donnent envie d’en savoir plus sur le chemin qui a mené Sophia, à vivre une vie isolée dans une immense maison bien trop grande pour elle. 

A Londres, son fils Arthur se trouve en pleine rupture amoureuse avec Charlotte qui devait l’accompagner dans les Cornwall. La cause de la rupture? Le Brexit. Charlotte le vit très mal et ne supporte plus qu’Arthur ne s’y intéresse pas plus que ça. Mais la politique n’est pas sa tasse thé, il préfère écrire sur son blog « Art et Nature ».

C’est alors qu’à un arrêt de bus, il rencontre Lux, une jeune fille singulière et intrigante. Art l’engage contre salaire pour l’accompagner chez sa mère et se faire passer pour son ex petite amie Charlotte.

Dès son arrivée en Cornouailles, Lux va complètement remuer la vie de la famille en provoquant la visite d’Iris, la soeur de Sophia. Cela fait des années qu’elles se sont perdues de vue et les retrouvailles ne sont pas choses faciles. L’auteure nous fait d’ailleurs cadeau de dialogues tonitruants.

«I know what you did with your life. (His mother.)
I know what you did with my life too. (His aunt.)»

Iris est le contraire de sa soeur. Libre, combattante et engagée, elle travaille sur le terrain en Méditerranée pour sauver des migrants naufragés. Durant leur jeunesse, Iris était plutôt « peace and love » et militante. Ses actions et prises de position ont apparement mis à mal la famille. Sophia affiche encore beaucoup de rancoeur envers sa soeur, et non seulement, elle ne partage pas ses idées, mais elle les méprise.

«Tell your friends from me, Iris said, what it’s like there. Tell them people are in a very bad way. Tell them about people who’ve got nothing. Tell them about people risking their lives, about people whose lives are all they’ve got left. Tell them about what torture does to a life, what it does to a language, how it makes people unable to dare to explain to themselves, never mind to other people, what’s happened to them. Tell them what loss is. Tell them, especially, about the small children who arrive there. I mean small. I mean hundreds of children. Five and six and seven years old.»

Ce roman explore la différence, la méfiance ressentie envers les personnes étrangères au sens large, les relations familiales surtout au sein d’une fratrie, la politique et les politiciens pour lesquels l’auteure de fait pas dans la dentelle, et bien sûr… l’art, thème cher à l’écrivaine. C’est bien souvent drôle,  je me suis régalée de l’humour et de l’ironie d’Ali Smith.

L’ambiance est à l’hiver et David Hockney illustre la couverture.

«That’s what winter is: an exercise in remembering how to still yourself then how to come pliantly back to life again.»

Ali Smith est née à Inverness en 1962. Auteure de plusieurs romans et par deux fois finaliste du Man Booker Prize, elle a imaginé un quartet saisonnier pour illustrer le Brexit. Quatre saisons pour évoquer le sujet qui divise la Grande-Bretagne. Mais pas uniquement.  

Les romans peuvent être lus de manière individuelle, on peut très bien lire Winter sans avoir lu Autumn. Mais si cette romancière à la plume géniale a prévu quatre livres dans l’ordre, elle avait certainement une idée derrière la tête. Je vois plutôt les quatre textes assemblés comme les pièces d’un puzzle.

Se plonger dans l’univers de l’écrivaine écossaise est une expérience unique en soi. A la lecture d’Autumn, premier roman de la quadrilogie, j’ai été un peu déconcertée et une fois le livre terminé, je n’étais pas certaine d’avoir compris tout le sens du texte. Ce qui ne m’a pas empêchée d’y revenir avec Winter. Au début du roman, rebelote: « Mais Sophia vit-elle vraiment avec une tête d’enfant? Une tête d’enfant, couverte de feuilles mortes et dont elle prend soin?? Quelle est cette histoire complètement farfelue ? »

«So she’d got up and found a large handkerchief at the back of the handkerchief drawer. She wrapped it round the top of the head in case the head was cold without its hair. She got back into bed and put the bedside light out. The near-bald head had smiled at her and glowed in the dark in its new turban as if lit by Rembrandt, as if Rembrandt had painted the child Simone de Beauvoir.»

Puis comme par magie, Ali Smith vous prend par la main pour vous accompagner au bout du roman. La clé? Ne pas chercher à comprendre et laisser faire son imagination. L’auteure nous distribue les partitions, à nous de les interpréter. Pour ma part, je peux vous garantir que les différentes mélodies me resteront bien longtemps en tête!

Le troisième volet de la série, Spring, est déjà paru en anglais en 2019. Summer, titre qui clôt le quartet saisonnier paraîtra en août 2020. 

Penguin Publisher, 2018, 336 pages (version poche). Paru en 2017 chez Hamish Hamilton Publisher.

Et pour celles et ceux qui ne lisent pas en anglais, le premier livre de la quadrilogie, Automne, a été traduit et publié en français aux Editions Grasset (2019).

2 Comments

  • Electra

    ravie de te lire aussi enthousiaste que moi ! j’ai adoré lire les 4 volumes, j’étais triste à la fin mais j’ai aimé retrouvé les personnages. Ce Winter tient une place particulière car il m’a fait tellement rire !

    • meellaa

      J’ai acheté Spring dernièrement, mais pas encore lu, je pense le lire cet été. Son écriture est si unique, et moi aussi Winter m’a fait rire, j’ai adoré le personnage de la mère. Je me souviens d’ailleurs très bien de ta chronique.

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