WILLARD ET SES TROPHÉES DE BOWLING – Richard Brautigan
Qualifier cette histoire de déjantée serait un euphémisme. Ce court texte construit sous forme de petits chapitres aux titres aussi intrigants qu’annonciateurs ne laisse rien prévoir. D’ailleurs passé quelques pages, deviner la suite du récit ne vient même plus à l’esprit du lecteur… il n’a qu’une envie se laisser aller!
Dans un immeuble de San Francisco vivent Bob et Constance. Ils souffrent d’une maladie vénérienne qui les oblige à s’adonner à un petit théâtre sadico-désespéré de troisième zone. Leurs voisins John et Patricia, couple ordinaire que l’on dirait tombé un peu par hasard dans cette histoire, hébergent Willard et ses trophées de bowling. Soit dit en passant, Willard est un oiseau de papier mâché, mais ceci n’est qu’un détail. Justement, les trois frères Logan, personnages tout droit sortis d’une bande dessinée, se sont fait voler leurs trophées de bowling. Sans piste ni indice, ils partent à leur recherche à travers les États-Unis.
«On aurait pu vraiment dire, et avec pas mal de conviction, que ces garçons n’avaient, hormis le bowling, pas grand-chose dans le crâne.»
Bref, ça n’a ni queue ni tête et pourtant on en redemande! Racontée ainsi cette aventure paraît bêtement loufoque, mais toute la différence est dans le style. Pas de description des lieux, très peu des personnages, l’écriture de Brautigan ouvre grand les portes de l’imagination.
Les scènes sont absurdes, l’humour plane au second degré, mais l’ensemble de ce roman adouci par une légère mélancolie, se tient parfaitement.
«M. Logan avait songé à demander à son épouse de faire cuire un peu moins de choses, mais n’avait jamais réussi à le faire. Il lui était plus facile de vivre avec tous ces gâteaux, biscuits et cookies autour que de dire quoi que ce soit à quiconque.
Si son épouse avait été une transmission, il y aurait eu des tas de biscuits, gâteau et cookies en moins dans la maison.»
NB: M. Logan, employé dans une station-service, travaille sur les transmissions de voitures.
Quel bonheur d’avoir enfin lu un livre de cet incroyable poète, nouvelliste et romancier américain! Richard Brautigan est né en 1935, mais il est frappant de constater que ses textes n’ont pas d’âge. Pionnier de la Beat Generation à San Francisco, il devient une icône de la contre-culture, puis propriétaire d’un ranch dans le Montana. Jim Harrison compte parmi ses proches. Il se suicide en 1984.
Un auteur dont je vais m’empresser de lire d’autres ouvrages. Il paraît qu’il va bientôt m’emmener pêcher depuis un canapé installé au bord d’un lac…
Inutile d’en rajouter.
Christian Bourgois éditeur, paru en 1975 sous le titre original «Willard and His Bowling Trophies», traduit de l’anglais (États-Unis) par Robert Pépin. Disponible en poche dans la collection Titres, 176 pages.