LOVE ME TENDER – Constance Debré

Elle était avocate, mariée à Laurent depuis vingt ans, mère de Paul, et menait une vie confortable. A quarante-quatre ans, elle est séparée de Laurent, elle voit son fils Paul, huit ans, une semaine sur deux, elle a abandonné le barreau pour écrire un livre et elle n’a plus d’argent.

Et elle annonce à Laurent qu’elle aime les filles.

Peu après cet aveu, elle ne verra plus son fils pendant des mois, accusée par Laurent d’inceste et de pédophilie, celui-ci demande la garde exclusive et la déchéance de l’autorité parentale de son ex-femme.

Mais lors de l’audience, c’est clairement son homosexualité qui est jugée. Ou plutôt l’homosexualité d’une mère. En attendant l’expertise psychiatrique ordonnée par le juge, le père bénéficie de la garde exclusive de l’enfant. Elle ne reçoit qu’un droit de visite. Une heure toutes les deux semaines dans un « espace rencontre » où des spécialistes seront présents. Elle fait appel mais elle n’aura pas d’audience avant deux ans.

« Dehors c’est MeToo et le mariage pour tous, mais c’est pour de faux. En vrai un juge m’oblige à être une mère sous bracelet électronique à la demande de celui qui est encore mon mari. En vrai un juge dit à mon petit garçon qui sera un homme mon fils que sa mère est coupable parce que son père tout-puissant le décide. Qu’elle n’est pas vraiment une mère puisqu’elle n’est pas vraiment une femme puisqu’elle n’aime pas vraiment les hommes. »

Entre la mauvaise volonté du père, la lenteur et l’incohérence des procédures judiciaires, les associations d’espaces rencontres débordées, débute alors pour cette mère un terrible combat pour voir son fils. Juste le voir.

« Il y a la grande famille de ceux qui se sont barrés et qui ont perdu leurs enfants. Ceux-là ne me disent pas que ça va s’arranger. Ils savent. J’ai compris ça il y a peu de temps. Le flic qui est en face de moi dit que la justice tue les familles. Qu’à un moment donné c’est trop tard, que ça passe vite l’enfance. »

Mais attention, il ne s’agit pas uniquement d’un livre qui dénonce les failles et l’injustice du sytème. Il ne s’agit pas uniquement d’un livre qui crie à l’injustice. Non. Surtout pas.

Il s’agit avant tout d’un livre sur la métamorphose d’une femme qui pour vivre ce qu’elle est vraiment, sans prendre la peine de mentir, ose se débarrasser de tout. Car dans ce texte écrit à la première personne, Constance Debré, se raconte sans détour.

« J’ai toujours les mêmes jambes, les mêmes oreilles, les mêmes bras, mais plus rien n’est pareil. Depuis trois ans ce sont des pans entiers de moi-même qui tombent. Qui n’en finissent pas de tomber. Je crois que j’arrive quelque part, six mois plus tard je me retourne et je suis dans une autre vie, avec un autre moi. Tout se mélange, tout ce que j’ai jeté par la fenêtre, les choses, le boulot, le fric, la famille. (…) Avant je voulais que tout se passe bien, maintenant j’ai compris qu’on ne devait rien à personne. »

Ce n’est pas qu’elle se décharge de tout superflu, mais carrément de toutes propriétés. Elle vit d’abord chez les filles qu’elle fréquente, puis finit par s’installer dans un studio. Un matelas, une planche et des tréteaux. 
Elle pourrait tomber bas, mais elle n’est sujette à aucune forme d’auto-destruction. Elle écrit et nage chaque jour. 

« Je vois bien que si je ne vais pas nager, la journée se passe mal. Je vis sur mes réserves, je ne peux me permettre le moindre écart. Alors je nage tous les jours, je ne réfléchis même plus. Je le fais et puis c’est tout. C’est ma discipline, ma méthode, ma folie pour échapper à la folie. Je coupe le temps, je le réduis en gestes simples, j’exécute. »

Contre sa volonté, Constance Debré ne voit plus son fils. A son insu, elle va entamer un deuil. Le deuil de son fils. 

« Je n’avais aucune nouvelle directe ou indirecte de Paul. Je me disais qu’il devait aller bien, que sinon je l’aurais su. Ca a duré neuf mois, comme une grossesse, une grossesse à l’envers, comme pour le faire dénaître. »

Entière, la narratrice l’est jusqu’à attaquer l’image de la maternité avec une franchise admirable. 

« Mère c’est quelque chose de pire que femme. C’est un peu comme domestique. Ou chien. Mais en moins bien. En plus méchant. Il n’y a qu’à ouvrir Instagram pour comprendre ça. Ou bien prendre le train et voir les mères tripoter les enfants. les emmerder sur tout, se hausser du col du haut de leur petit pouvoir sadique de mère, humilié-humiliant, un peu comme les prolétaires sur les sous-prolétaires, au moins en rêve.»

La seule chose importante pour elle, ce n’est pas «être mère» mais c’est «être elle et aimer son fils». Le statut de mère n’a aucune importance. Elle l’aime est c’est tout ce qui compte. Le chapitre sur le souvenir de la naissance de Paul est simplement bouleversant.

«C’est quelque chose qui n’existe pas dans les autres amours de choisir le nom de qui on aime.»

Elle vit une situation horrible. Pendant des mois, elle ne sait pas à quoi s’en tenir, ni quand elle va pouvoir revoir son fils et pourtant, elle admet sans détour qu’elle ne pourrait pas vivre comme elle le fait si elle devait s’occuper de son enfant.

«Si j’y pense je ne sais pas ce que j’en pense. Je ne pourrais pas faire tout ce que je fais s’il était là. Si je devais l’amener à l’école, aller le chercher, l’amener à des cours de piano, de théâtre, de natation, de tennis, de basket, aux anniversaires et chez les copains, si je devais parler aux autres parents, aux gens de l’école, si je devais faire les courses, la bouffe, les devoirs. Il faudrait que je reprenne un appartement normal, un boulot normal, une vie normale, je ne ne pourrais pas vivre comme je vis, je ne pourrais pas être moi s’il était là, il faudrait que je revienne en arrière, ça me paraît très loin, ça me paraît impossible. J’aimerais laisser tomber, passer à autre chose, l’oublier.»

Le sujet est dur, très dur. Les mots sont bruts, incisifs et les phrases percutantes. Mais la grande force de ce texte, c’est que malgré l’immense souffrance qui submerge cette femme, Constance Debré réussit à écrire un roman qui n’est pas sombre. Le coeur reste marqué au fer rouge par la beauté de son écriture.

«Attendre, de toute façon, il n’y a que ça à faire quand le sort vous colle par terre avec la godasse sur la tronche. On ne peut pas bouger. Ca ne sert à rien d’essayer. C’est là qu’il faut être fort.»

Flammarion, janvier 2020, 188 pages

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