LES FAINÉANTS DANS LA VALLÉE FERTILE – Albert Cossery

Quelque part dans une petite ville de la vallée du Nil, vit une famille très particulière dont le seul mot d’ordre est : ne rien faire!

Le vieux père Hafez, veuf, passe son temps couché. Son frère Mustapha a perdu toute sa fortune pour les beaux yeux d’une femme, et loge désormais chez Hafez et ses trois fils.

Galal dort du matin au soir. Rafik a consciemment choisi de ne rien faire et se sent à l’aise dans sa condition d’homme paresseux. Par crainte de devoir travailler, il a même renoncé à la femme qu’il aime. Rafik aimerait que le reste de sa famille apprécie de façon plus consciente le bonheur que procure le désintéressement. 

Le seul intrus, c’est le fils Serag. Au bénéfice d’un diplôme d’ingénieur, son rêve est… de travailler. Et bien sûr, au lieu de l’encourager, toute sa famille tente de l’en dissuader.

«J’ai vu les hommes qui travaillaient dans ces usines; ce n’étaient déjà plus des hommes. Ils portaient tous le malheur inscrit sur leur visage.»

L’unique femme qui a la permission d’entrer dans cette maison masculine, c’est l’aide au ménage Hoda. Les autres femmes ont des rôles secondaires et certainement pas des places de choix : prostituées ou entremetteuses.

La présence d’une femme dans le logis risquerait de perturber le petit programme familial. Terminés siestes et farniente, bonjour les obligations! 

C’est pourquoi, la paix du foyer va se trouver fortement ébranlée lorsque le vieil Hafez annonce à ses fils qu’il souhaite se marier…

La philosophie de vie de cette famille est si invraisemblable que s’en est parfois loufoque, mais le regard criant de vérité porté sur la société donne au texte une dimension intelligente.

«Il lui semblait improbable que des hommes sains d’esprit aillent travailler dans les mines à cette heure néfaste d’avant l’aube. Qu’est-ce qui les obligeait à faire ce métier de fou?»

Les protagonistes ont choisi la fainéantise, le sommeil plus précisément, comme remède à la noirceur du monde. Non pas par abandon, mais justement en signe de rébellion. Leur pire crainte est de se soumettre et leur seule arme la paresse. L’oisiveté en art suprême et distingué.

D’une écriture très agréable, Albert Cossery fait preuve d’un grand sens de l’humour. Certaines scènes comme la tentative d’utilisation du réveil-matin, sont vraiment très drôles. Un climat léger et joyeux règne tout au long de ce roman.

Le seul point noir réside dans les paroles outrancières et violentes que certains personnages adressent aux femmes. Difficilement tolérable à certains endroits du texte, cela ne m’a toutefois pas empêchée de poursuivre ma lecture. 

«Les fainéants dans la vallée fertile» est une excellente entrée dans l’oeuvre si singulière d’Albert Cossery. J’en conserverai un souvenir lumineux.

Éditions Joëlle Losfeld, 1996, Collections Arcanes 1999, publié pour la première fois en 1948.

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