GLORY – Elizabeth Wetmore

1976, au lendemain de la Saint-Valentin, la jeune Gloria Ramírez, quatorze ans, reprend difficilement conscience au milieu d’un champ pétrolifère. Près d’elle, Dale Strickland, jeune foreur, est profondément endormi dans son pick-up. 

«À l’est, le ciel vire au violet, puis au bleu nuit, puis au gris ardoise. Dans quelques minutes, il sera éclaboussé d’orange et de rouge, et si elle lève les yeux, Gloria verra les terres s’étendre sous ce ciel, immensité marron jouxtant le bleu, immuables. Le ciel est infini et c’est ce qu’il y a de mieux dans l’ouest du Texas, encore faut-il penser à le regarder. Il lui manquera lorsqu’elle partira. Car elle ne peut pas rester ici, pas après ça.»

Hagarde, telle une bête mourante, Gloria réussit péniblement à s’éloigner du lieu du crime violent dont elle a été victime la nuit précédente.

Une première scène hyper réaliste dans l’immensité oppressante du paysage de cette région du Texas. 

En ce dimanche matin, Mary Rose joue aux cartes avec sa petite fille de neuf ans dans la cuisine de la ferme familiale. On frappe à la porte. Une jeune fille à peine plus âgée que sa propre enfant se tient devant elle. Vision d’horreur absolue. Gloria est secourue, Dale Strickland arrêté.

Mais la vie de Mary Rose, enceinte, ne peut reprendre son cours normal. Odessa est une petite ville conservatrice où les crimes sont jugés avant même d’être portés devant le tribunal. Sur le point d’accoucher, menacée, Mary Rose part vivre en ville avec sa petite fille en laissant son mari à la ferme. 

Dans son nouveau quartier vit Corrine, une enseignante à la retraite, veuve au penchant alcoolique. Lorsque Corrine prend la parole de ce roman choral, c’est pour se retourner sur un passé qui la hante nuit et jour. Sa vie de couple avec Potter, ses enfants qui ne viennent plus la voir, la maladie à laquelle il a fallu faire face. Aujourd’hui, les seules visites qu’elle reçoit sont celles de la petite Debra Ann.

Abandonnée à son père par une mère désabusée, Debra Ann grandit livrée à elle-même. Pouilleuse mais passionnée de lecture, elle entretient une amitié profonde avec Jesse, ancien soldat oublié de la société qui rêve de rentrer chez lui.

Dans cette petite communauté, se rendre à l’église est un devoir. Suzanne Ledbetter, ménagère parfaite, représentante des marques Tupperware et Avon, tient à son indépendance et souhaite mettre toutes les chances du côté de sa fille unique. 

«Tu pourras tout avoir dans la vie – elle s’efforce de croiser le regard de sa fille dans le rétroviseur – mais il ne faut jamais quitter la balle des yeux, tu comprends? Ceux qui regardent ailleurs, ne serait-ce qu’une seconde, se la prennent en pleine face.»

Pour Suzanne, Gloria n’aurait pas pu être sa fille, car sa fille fera attention. Le pauvre Strickland était sous amphétamines, seul moyen pour l’aider à supporter les conditions de travail difficiles sur les champs de pétrole. Et puis, on sait comment sont ces filles—là. 

C’est que Gloria est mexicaine. D’ailleurs, subitement après le crime, la situation irrégulière de sa mère a été dénoncée et celle-ci renvoyée au Mexique. En attendant le jugement, Gloria se remet de ses blessures, cachée dans un motel.

«C’est quoi la définition d’une vierge à Lake Charles?
Tina renifle. Une gamine de douze ans qui est moche et qui sait courir vraiment vite. Elle marque une pause et fixe l’eau de la piscine. Et elle ajoute: je n’étais pas assez laide, j’imagine, ou je ne courais pas assez vite.»

Le Texas, son soleil assassin, les impacts humains et écologiques de son industrie pétrolière, Elizabeth Wetmore signe un premier roman très fort à l’atmosphère étrangement éblouissante.

Derrière la guerre qui se joue au sein de cette société traditionaliste, se cachent toutes les petites batailles que les femmes affrontent avec courage. 

A l’aube du jugement, par une chaleur implacable, la pression monte. Mais la voix de Mary Rose ne faiblit pas. 

«Elle restera la fille dont la mère folle a passé un après-midi en cellule. Ce jour nous changera à jamais. À partir de là, lorsque nous jouerons aux cartes, je l’obligerai à se battre sur chaque point, et lorsqu’elle perdra, elle saura pourquoi, je m’en assurerai – et pas toujours avec gentillesse.»

Editions Les Escales, août 2020, titre original «Valentine», traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle Aronson, 320 pages.

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *