MON MAÎTRE ET MON VAINQUEUR – François-Henri Désérable

Un après-midi ensoleillé, depuis plusieurs jours je peine à me concentrer sur mes lectures. En pleine rentrée littéraire, cela tombe mal. J’espère de chaque livre que je  débute qu’il m’emporte au-delà de mes préoccupations personnelles. Pas évident d’être mes livres. Mon maître et mon vainqueur… Après la dédicace Bien à toi. un incipit de Verlaine et un de Michaux, ça commence bien. Puis la première phrase «J’ai su que cette histoire allait trop loin quand je suis entré dans une armurerie.» 

Quelques chapitres plus tard, je lève enfin le nez. Besoin de reprendre mon souffle. Me voilà faite. Je dois abandonner ma lecture pour préparer un dîner et, en plus, y participer. Durant le repas, je pense à Vasco et Tina, à leur ami le narrateur, si attachant. Je pense à Voltaire, à son coeur, à Verlaine, à Rimbaud, à Paris. Il me tarde que ce dîner prenne fin que je puisse terminer ce roman époustouflant par son style.

«Elle ne cherche pas à aimer ni à être aimée, mais à baiser autant que possible, à jouir, à s’absoudre d’avoir joui en se répétant la phrase de Baudelaire – Qu’importe l’éternité de la damnation à qui a connu dans une seconde l’infini de la jouissance -, car elle trouve dans la jouissance un exutoire et un répit, la disparition provisoire du fardeau quotidien qu’est le métier de vivre

Interrogé par un juge, le narrateur ou auteur, raconte de façon désinvolte l’histoire passionnelle et adultère de ses amis Vasco et Tina. Nous suivons l’évolution de la relation ardente entre cet homme et cette femme, mariée et mère deux enfants. Une histoire classique.

Sauf que nous sommes plongés dans les rayons très protégés de la BnF, où Vasco travaille en tant que conservateur de livres anciens, sauf qu’il y a ce bain où Vasco lit Verlaine à Tina, sauf qu’Alessandro, le coiffeur, se veut philosophe, sauf que.   

Plus le roman avance, plus on pressent une fin tragique. D’ailleurs, la couleur est annoncée dès le début du récit puisque le narrateur se trouve dans le bureau du juge. Parmi les pièces à conviction, un révolver et un cahier Clairefontaine appartenant à Vasco, un recueil de poèmes composés par lui-même dont le titre emprunté à Verlaine Mon maître et mon vainqueur, sert de fil conducteur à l’interrogatoire du juge.

Un narrateur charmant se qualifiant de petit père, ne se prenant jamais au sérieux, semant ça et là de délicieuses digressions, des protagonistes dépeints si terriblement, tous les détails d’une passion amoureuse dont on connait la fin inéluctable mais dans laquelle on se jette malgré tout. Mais le style mes amis, LE style! François-Henri Désérable passe sans cesse de la poésie au comique, de la crudité à des passages historiques instructifs, du… au… avec un ganté d’expert.

En parlant d’un collègue du ministère de l’époux : 

«D’emblée il m’a mis mal à l’aise, Adrien – à cause de son air hautain, de ses manières affectées, de l’ombrageux frémissement de ses lèvres, ou de la façon peut-être qu’il avait d’entrecouper chacune de ses phrases de silences sentencieux : on ne savait pas s’ils exprimaient un vertige métaphysique ou des aigreurs d’estomac.»

Alors que Tina est rongée par la culpabilité lorsqu’elle se trouve avec son amant pour un week-end, l’auteur opère des sauts de temporalité au beau milieu des cabrioles pour nous plonger dans la soirée brumeuse de l’époux, du père de ses enfants. 

Ce jeune auteur (1987!) nous offre un texte truffé de poésie, de vérités, d’anecdotes sur les poètes fous, de mots érudits. Bref, j’applaudis.

«Et qu’est-ce que la vie, disait Vasco, si l’on y songe un instant? De petits bonheurs éphémères, dominés par d’insondables chagrins. Et on n’en continue pas moins d’aller au bureau, et de dire bonjour aux collègues, et de rire à leurs blagues, on n’en continue pas moins de jouer la comédie du bonheur, alors qu’en vérité on porte un masque à même la peau, pas tout le temps mais la plupart du temps, pas tous les gens mais la plupart des gens, un masque qui nous fait une seconde peau, rieuse et joyeuse par-dessus l’autre, défigurée par la douleur.»

On ne s’attend pas à une fin tout est bien qui finit bien, celle que l’on souhaiterait dans le meilleur des mondes. Mais, en plus, l’épilogue nous gratifie d’une cerise sur le gâteau : déjanté et inattendu.

Et même que je connais cette fin surprenante, j’ai envie de lire ENCORE Mon maître et mon vainqueur.

UN COUP DE COEUR. 

Éditions Gallimard, août 2021, 192 pages.

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