L’ÉTERNEL FIANCÉ – Agnès Desarthe

Cela commence de manière presque anecdotique. Une petite fille de quatre ans assiste à un concert de Noël. La musique est sacrée pour cette enfant issue d’une famille de mélomanes. Alors qu’elle vibre au son des notes, un petit garçon qu’elle ne connaît pas, l’interpelle et lui déclare qu’il l’aime parce qu’elle a les yeux ronds. Pour le faire taire, elle lui répond : « Je ne t’aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers. »

Cet instant marque pour la narratrice, sa première rencontre avec Étienne qu’elle ne cessera de croiser tout au long de sa vie. Elle l’a toujours vu, lui n’en saura jamais rien.

«L’éternel fiancé» n’est pas une histoire d’amour, mais l’histoire d’une vie, simplement. 

La fillette nous présente sa famille. Son père, un homme qui vit à contresens et ne souhaite pas en changer, sa mère pleine de manies, ses deux soeurs Lise et Dora. Au travers du récit de la narratrice, nous suivons les évènements de sa vie de femme. 

«Mes parents ne s’entendaient plus. Ils s’affrontaient, carambolages entre deux cargaisons de reproches. Mon père faisait du bruit en avalant sa soupe. Ma mère ne disait jamais vraiment ce qu’elle pensait. Mon père oubliait de refermer les portes des placards et des armoires. Ma mère était incapable de jeter quoi que ce soit. Lassés l’un de l’autre, ils ne semblaient jamais fatigués de se battre. Tu as gâché ma vie. Je serais davantage moi-même si je ne t’avais pas connu/e, si je ne t’avais pas subi/e.»

 

Adolescente, amoureuse, mère à son tour. Le regard qu’elle porte aux autres se modifie tout au long de sa vie. Il est intéressant de suivre l’évolution de son rapport à ses  parents. Jeune fille, elle observe la métamorphose de sa mère lorsque celle-ci quitte son père. Devenue femme, la narratrice perçoit cette transformation différemment.

Divorces, deuils, pertes, joies, chagrins. Que reste-t-il d’une existence, du temps qui file, des souvenirs? Et soudain réaliser que notre vie, celle que l’on imaginait autrement, est passée.

«L’énergie nécessaire pour vivre ma vie s’est échappée de mes veines, le sens a fui hors de mon cerveau. Je rebrousse chemin, je revois chaque bifurcation, les instants de choix, les moments irrémédiables. Je démêle mon existence comme une chevelure qui n’a jamais connu le peigne. Je méprise mon destin, et cela crée en moi une aigreur terrible. Je réécris mon histoire à partir de souvenirs, de bribes d’existence avortées qui, au terme d’une hésitation, à la faveur d’un changement d’avis, n’ont pas fécondé l’avenir.»

Telle la musique personnage du roman, l’écriture aux accents poétiques d’Agnès Desarthe emporte et met en proie à un arc-en-ciel d’émotions. 

Sublime, c’est le mot.

Éditions de L’Olivier, août 2021, 256 pages

4 Comments

  • Marie-Claude

    Tu me convaincs! L’omniprésence (?) de la musique pourrait me gêner, mais le défrichage du parcours d’une femme et de sa famille et, surtout, les mots choisis pour le faire me convainc. Je suis curieuse de lire enfin mon premier Desarthe. J’ai lu plusieurs romans qu’elle a traduits. Il est temps de me frotter à l’auteure.

    • meellaa

      Magnifique!! Cette auteure met toujours en exergue les préoccupations féminines avec beaucoup de subtilité. J’avais aussi beaucoup aimé ses nouvelles et son essai sur la lecture.

  • Violette

    quel beau billet ! J’ai tout de même été moins enthousiaste mais j’ai découvert la plume de l’autrice pour la première fois et quel style ! Certains passages sont magnifiques !

    • meellaa

      J’ai lu ton avis légèrement plus mitigé en effet. Mais si l’écriture t’a plu, n’hésite pas à poursuivre ta découverte de l’auteure. J’ai lu et aimé Ce qui est arrivé aux Kempinski (des nouvelles) et Une partie de chasse. Une lectrice m’a conseillé La chance de leur vie que je vais lire tantôt.

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