LA SOUSTRACTION DES POSSIBLES – Joseph Incardona

Genève, fin des années 80. Le secret bancaire est encore garanti par la Loi fédérale. Aldo Bianchi, la trentaine, est professeur de tennis au Tennis Club des Eaux-Vives. Il couche régulièrement avec son élève Odile Langlois, la quarantaine, pendant que l’époux de celle-ci est à l’étranger. Odile est amoureuse d’Aldo, lui n’est plus très épanoui dans son rôle de gigolo.

L’époux, René Langlois, est courtier en céréales pour TransGrain SA. Il s’intéresse de très près au développement des OGM américains qui pourrait lui rapporter gros.

Les Langlois sont amis avec des banquiers et des avocats de la place. Le couple participe régulièrement à des soirées privées où tout ce beau monde se réunit. Champagne, caviar et vue sur le Lac.

Svetlana Novák, financière ambitieuse, occupe un poste de fondée de pouvoir à l’UBS. La jeune mère célibataire parle cinq langues dont le russe, et elle compte bien progresser professionnellement. 

Grâce aux relations d’Odile, Aldo est employé pour transporter des valises pleines de billets et c’est Svetlana, en employée discrète, qui les réceptionne. Aldo et Svetlana tombent amoureux. 

«C’est le soir, vous êtes perdu dans un pays étranger, vous êtes seul, affamé, errant en proie aux affres de l’indigence. On vous a tout pris : la force et l’espoir. A un certain moment, dans une ruelle vide, vous passez sous la fenêtre d’une maison et vous entendez soudain une musique que vous reconnaissez, c’est une musique de chez vous, qui vous rappelle d’où vous venez, dit qui vous êtes, elle parle votre langue, vous vous arrêtez, le temps que la musique s’écoule, vos yeux pleurent, mais c’est aussi votre premier sourire depuis des jours.»

Tous les deux ont de l’ambition, ils rêvent d’une autre vie et vont s’en donner les moyens. A la grande époque du capitalisme, tout est possible!

«Les années 1990 préfigurent un système sur le point de perdre tout contrôle, où l’informatique s’apprête à révolutionner la planète, où les algorithmes emballent la combinatoire des transactions boursières. Plus personne ne sait vraiment ce qu’est devenu l’argent, un moyen, un but, un prétexte, une dématérialisation de nos existences.(…)
A force de le laisser se propager, il prend toute la place disponible. Il est comme l’air, il est partout.»

Voilà le lecteur embarqué dans une histoire qui ne manque pas de souffle. La mafia corse est représentée par Mimi Leone née Pattucci, les Russes ont de l’argent à mettre au chaud et René Langlois recherchent des investisseurs pour son affaire d’OGM. Rajoutez à cela, une épouse prête à tout pour garder son amant, et vous obtenez « La soustraction des possibles ». Une véritable tragédie moderne sur une musique de James Bond.

Voyage dans la Genève qui se révèle tout sauf calviniste. Joseph Incardona nous invite chez Régine, à l’Auberge de la Couronne à Jussy, au New Sporting Club de Genthod-Bellevue et à l’Amphitryon de l’hôtel Beau-Rivage. Les personnages roulent en Porsche ou en Mercedes et portent une Rolex au poignet.

Svetlana, sans même regarder son modèle Lady DateJust:
«Vous savez que le mouvement perpétuel gagne toujours quelques minutes au cours des semaines? C’est le principal défaut des Rolex, mais aussi ce qui fait leur charme.»
Un temps. 
«Pour moi, il est déjà treize heure, monsieur Riedle.» 

Comme dans la série «Dynastie» qui passait sur les écrans à la même époque, le monde est petit. Fric, sexe, mensonges et bling bling sont au rendez-vous.

Quel est le rapport entre la Schweizerische Bankgeselleschaft et le percement du tunnel du Gothard? Tout au long du texte, l’écrivain suisse d’origine italienne nous offre une leçon d’Histoire ou un rafraîchissement de mémoire, c’est selon. Il place même dans son roman «le casse du siècle», fait divers à la une de tous les journaux en 1990, puisque 31 millions de francs suisses avaient disparu des coffres de l’Union de Banques Suisses de Genève.

Mais outre l’histoire intelligente, instructive, passionnante et addictive que l’auteur nous propose, c’est son style d’écriture incomparable qui rend ce livre exceptionnel. Le jeu narratif est simplement grandiose. Oui, c’est bourré de digressions, mais l’auteur réussit à se moquer de ses propres personnages si stéréotypés.

Le livre refermé, j’ai envie de relire Ramuz. Quel est lien? Lisez « La soustraction des possibles » et vous allez comprendre.

Ce roman est sélectionné par plusieurs prix littéraires. Honte à moi, en tant que Suisse, je n’avais jamais entendu parler de l’écrivain Joseph Incardona. Il est l’auteur de douze romans! « Derrière les panneaux » figure déjà dans la liste de mes prochaines lectures. 

Ce livre n’était pas censé être ma tasse de thé, ou plutôt ma coupe de champagne… mais j’ai bu les 400 pages cul sec! Magistral.

Editions Finitude, 2020, 400 pages

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